UN APRES-MIDI DE CHIEN : VIVRE SANS TENDRESSE

  Quatre ans après leur première collaboration sur "Le Parrain" de Francis Ford Coppola, Al Pacino et John Cazale se donne à nouveau la réplique sous la direction de Sidney Lumet dans "Un après-midi de chien". Inspiré d'un fait divers relatant un braquage de banque ordinaire virant au tapage médiatique, le film rafle cette année-là toutes les récompenses des Oscars et des Golden Globes. Le réalisateur, adepte du cinéma qui hante les rues encrassées par la réalité et la misère sociale, s’amourache de la portée sociétale du casse et le transforme en porte-étendard d'un mal-être américain.   Synopsis :  Sonny et Sal entrent dans une banque par une chaude après-midi de l'été 1972 avec l'intention de faire un casse aussi rapide que lucratif. Entre désertion, improvisations et curiosités malvenues, le braquage vire à la prise d'otage ne laissant d'autres choix que la négociation ou la mort.    Les faits divers, et notamment ceux mettant en scène de

IRMA VEP : VAMPIRES CINEPHOBES POUR MESQUINERIES CINEPHILES

Sorti en 1996, "Irma Vep" d'Olivier Assayas met en scène un casting surprenant avec Maggie Cheung (Nos années sauvages, Song of Exile, Green Snake) dans le rôle-titre, ainsi que Jean-Pierre Léaud (Les Quatre Cents Coups, La maman et la Putain, La Nuit Américaine) et Nathalie Richard (La Bande des Quatre, Riens du tout, L'Enfant de l'Hiver) en seconds rôles. Son postulat : narrer sous la forme d'un tournage chaotique, la grande réalité du "petit cinéma".

Synopsis : 
René Vidal, un réalisateur en pleine débâcle créative décide d'accepter la réadaptation du classique "Les Vampires" de Louis Feuillade. Projet risqué pour lequel il s’adjoint les services de l'actrice Maggie Cheung qu'il a repéré dans des films versant dans la démonstration d'arts martiaux. Entre imprévus et mesquineries, le tournage prend des allures de naufrage...
Récit miroir d'une situation et d'une vision personnelle, "Irma Vep" transpose dans le personnage de Jean-Pierre Léaud les préoccupations et les désirs du réalisateur Olivier Assayas. Pour ce faire, ce dernier invoque des œuvres réelles tel que "Les Vampires" de Feuillade ou la filmographie de Maggie Cheung qui joue elle-même une version légèrement altérée de sa propre personne. Derrière ces artifices, le cinéaste cherche avant tout à faire créer une synthèse du cinéma à petit budget et de sa capacité à survivre malgré les réflexes cannibales qui l'habitent.

Ainsi, et ce, dès les premières minutes du film, le réalisateur s'arme de plans-séquence filmés à l'épaule et virevoltant parmi les personnages en ébullition pour montrer le désordre et l'effervescence qui règne dans cette sphère cinématographique à l'approche d'un tournage. Au milieu de ce chaos, Maggie Cheung débarque comme un phare d'apaisement, se laissant ballotter au rythme de la production et tentant de comprendre l'imaginaire du projet de René. Inscrit en filigrane du long-métrage, une impression va naître de leur relation : personne d'autre qu'eux ne se soucient réellement de l'enjeu et des ambitions du film. Trop occupé par les obstacles matériels et les vieilles rengaines sur le cinéma auteur-iste du réalisateur, toute l'équipe en oublie la profondeur du 7ème art, et pire s'en décharge totalement en attendant simplement l'impression du cinéaste acariâtre et perturbé. Un abandon que déplore "Irma Vep" dont le cri hurle à la profession de réinvestir leurs rôles. Ce message trouve son apothéose dans la nuit libératoire que s'autorise Maggie, épousant son personnage et son état d'esprit le temps d'une danse sous la pluie nous questionnant sur qui du cinéma ou de l'actrice contrôle l'autre à cet instant.
Le personnage de Maggie Cheung nous entraîne, nous spectateur, dans un milieu que nous ne connaissons pas à l'instar de l'actrice, elle-même plus habitué au cinéma hongkongais que français. Mécanique qu'elle partage avec Irma Vep, le personnage principal de Feuillade qui se retrouve aux prises avec des vampires contrôlant ses actions dans le but de parachever des visions qui lui sont inconnues. Dans ce microcosme, Maggie Cheung nous offre ses yeux pour comprendre les difficultés d'un cinéma de bouts de chandelles dont la tension nerveuse et les petites rivalités de plateau conduisent plus à sa dévalorisation que l'image trop intellectuelle que l'on lui colle à la bobine. Assayas se sert par ailleurs d'une séquence avec un journaliste réfractaire au cinéma d'auteur pour exprimer (avec un ridicule de circonstance) la critique visant à dire que c'est l'intellectualisation du cinéma français qui en est l'assassin. Si l'on aurait pu souhaiter la scène plus subtile, elle révèle néanmoins une pression supplémentaire qui s'appuie sur ces tournages et qui ne manque pas de relancer d'ineptes débats sur nos réseaux sociaux tous les quatre matins.

Au-delà de la place importante que prend le cinéma dans ce film, c'est avant tout un film de personnage. Papillonnant de la cascadeuse au réalisateur, la caméra d'Assayas nous promène parmi ces individualités en nous laissant une impression douce-amère. Si chacun fait de son mieux pour permettre l'aboutissement du projet, il n'y règne pas moins l'impression de naviguer au milieu d'une désorganisation vénéneuse où prévalent avant tout les intérêts personnels et les orgueilleuses rancœurs. Cependant, un autre éclat de lumière resplendit dans ce marasme : Zoé (interprétée par Nathalie Richard) nous offre une bonne dose d'espoir et de tendresse. Si elle est abîmée, elle aussi, par le monde qui l'entoure et l'englobe entièrement, elle nous laisse entrapercevoir un secret espoir de bonté (pas toujours désintéressée) dans ce marigot cinématographique. À noter également qu'"Irma Vep" réussit ici à créer un personnage lesbien loin des emphases caricaturales et des fausses notes regrettables et habituelles, ce qui représente tant pour son époque que pour le cinéma en lui-même, une bien agréable récréation.
En conclusion, "Irma Vep" est un long-métrage sans moyens, ni grandes ambitions à l'instar de sa mise en abîme, mais qui parvient à créer une réelle tendresse pour ses duos (Maggie-Zoé / Maggie-René) tout en portant un œil amoureux (mais critique) sur un cercle cinématographique anthropophage. La sortie actuelle d'une adaptation du film par son réalisateur en format sériel peut nous laisser envisager de belles choses et un message nécessaire encore plus appuyé. Une proposition intéressante et inspirée qui, sans être exempte de défauts, a le mérite de nous transporter chez les vampires du cinéma.

Enfiler vos costumes et regardez ce film, car après tout, rien ne vaut votre propre avis. 

13 novembre 1996 / 1h 38min / Drame, Comédie
De Olivier Assayas
Par Olivier Assayas
Avec Maggie Cheung, Jean-Pierre Léaud, Nathalie Richard