UN APRES-MIDI DE CHIEN : VIVRE SANS TENDRESSE

 

Quatre ans après leur première collaboration sur "Le Parrain" de Francis Ford Coppola, Al Pacino et John Cazale se donne à nouveau la réplique sous la direction de Sidney Lumet dans "Un après-midi de chien". Inspiré d'un fait divers relatant un braquage de banque ordinaire virant au tapage médiatique, le film rafle cette année-là toutes les récompenses des Oscars et des Golden Globes. Le réalisateur, adepte du cinéma qui hante les rues encrassées par la réalité et la misère sociale, s’amourache de la portée sociétale du casse et le transforme en porte-étendard d'un mal-être américain. 

 Synopsis : 

Sonny et Sal entrent dans une banque par une chaude après-midi de l'été 1972 avec l'intention de faire un casse aussi rapide que lucratif. Entre désertion, improvisations et curiosités malvenues, le braquage vire à la prise d'otage ne laissant d'autres choix que la négociation ou la mort. 

 

Les faits divers, et notamment ceux mettant en scène des braquages, forment un terreau très fertile pour le cinéma qui connaît la curiosité de ses spectateurs pour les récits tirés d'une réalité à laquelle ils n'appartiennent que très peu. Avec ce sujet, il y avait fort à parier que le maître du polar juridique torde sa caméra pour nous offrir un angle social et symbolique qui, s'il ne manque jamais à nous divertir, ne doit à aucun moment nous faire oublier de réfléchir. Pari réussi avec "Un après-midi de chien" puisque dès son ouverture, le réalisateur met en opposition deux mondes diamétralement opposés dans le fond : la classe ouvrière/la rue pour qui l'été est synonyme de conditions difficiles de travail et de rues bondées et insalubres, et la classe supérieure/les privilégiés pour qui tout cela ne rime qu'avec loisirs, vacances et ensoleillement appréciable. Sur un air d'Elton John, Sidney Lumet établit un clivage tant par le contraste de l'image que par un aspect plus vertical, enfermant la rue dans des cadres chargés et horizontaux tandis qu'il libère les privilégiés par des cadres épurés et aériens. Mais la force de l’œuvre réside avant tout dans le personnage de Sonny, et sa capacité à se révéler comme vecteur de messages au fur et à mesure du récit. 

Pour cause, cette petite équipe de braqueurs, plus amateurs que professionnels, dévoile très rapidement que leur capacité de nuisance est faible et que sous l'amoralité de leur geste se cache en réalité une vraie misère sourde qui exulte en quête d'échappatoire. Si Sal demeure amorphe, comme vidé de toute volonté propre, Sonny se révèle comme un véritable moteur oscillant entre coups d'éclats et véritable détresse. Le personnage d'Al Pacino, auquel il donne une véritable consistante par son jeu tempétueux, ne cesse de répéter son leitmotiv "Je meurs ici" (I'm dying here!), appel à l'aide laissant transparaître la lassitude d'un homme et derrière lui une population qui essaye de vivre au lieu de survivre. Rescapé d'une guerre du Vietnam qui touche à sa fin, homosexuel (ou bisexuel), révolté de la violence policière d'Attica et travailleur non syndiqué donc condamné aux petits jobs sous-payés, Sonny se pare à longueur de prise d'otage de détails qui contribuent à créer cette image du paria et des causes que Lumet veut défendre face à une "normalité" bien-pensante qui les ignore ou les condamne.

Et c'est dans cet aspect que réside l'une des grandes forces du cinéaste. Dans "Un après-midi de chien", il retire au film de braquage tout son aspect spectaculaire gorgé d'action pour se recentrer sur les personnages, la langueur de ce genre d'évènements, et surtout le caractère humain de l'action. Pas de voleurs aux grands cœurs, de salopards vénaux, ou de génies du crime, ici les braqueurs, les otages, la police, la foule, tout n'est qu'humanité aux prises avec une situation impossible. Cette absence d'enrobage multivitaminé sert à Lumet à créer une réelle sympathie envers tous les protagonistes de la part du spectateur afin de créer en lui un espoir simple et désespéré : que la situation se résolve sans heurts. Pourtant, tout est fait pour écraser les occupants de la banque qui se trouve ensevelis sous des montagnes de policiers, sous la menace constante d'armes et face à des hommes de loi retords qui peinent à baisser leurs armes même sous les invectives d'un supérieur. C'est ici aussi une manière pour le cinéaste d'imager le rapport de ces parias face à un gouvernement qui attend la moindre occasion pour les faire disparaître. 

C'est par ce rapport à l'humain que le réalisateur travaille son message le plus fort. La foule venue en masse assister à la mort des voleurs change progressivement de camp à chaque fois que Sonny dévoile un peu plus sa vie. Au son de ses cris sur Attica, la foule leur offre ses faveurs avant de redevenir moqueuse et haineuse en apprenant son homosexualité. Des revirements qu'accentuent les médias sur place, incapable de comprendre pourquoi la bande n'a aucune autre revendication que l'argent pour s'attaquer à une bande, ou de faire la part des choses entre la personnalité des braqueurs et leur sexualité. Sidney Lumet crée avec ce lien à la foule une véritable défiance envers l'opinion publique et son caractère changeant au gré du vent. Il va par ailleurs se servir des otages pour extraire de cette foule un échantillon test d'être humain qu'il met en contact avec ses braqueurs transpirant d'humanité. Et là encore s'il nous montre un apprivoisement des deux groupes se résultant parfois par de la camaraderie et une compréhension mutuelle, il achève cette relation dans une scène finale nous montrant que si les parias peuvent s'intégrer, la masse finit toujours par les oublier et les délaisser. 

Au-delà d'un film de casse classique, Sidney Lumet réalise surtout un film sur la solitude, le rejet, et l'absence de tendresse. Le personnage de Sonny ne cherche qu'à être accepté, écouté et aimé en vain. Que ce soit dans son mariage bruyant et encombrant, dans sa relation maternelle étouffante, dans sa romance forcée, Sonny ne parvient pas à trouver sa place et se voit ballotter par une société qui n'admet pas ses différences quand bien même elle a contribué à en forger certaine. On retrouve ici un propos entendu sur les vétérans du Vietnam que l'on a rejeté à cause des troubles résultant de la guerre. Cette absence de reconnaissance est d'acceptation, voilà ce qui tue Sonny et la raison pour laquelle il répète sans cesse son "I'm dying here !". C'est l'appel désespéré d'un homme qui ne peut vivre sans tendresse et qui se voit condamné à vivre dans une misère sociale le condamnant soit à la folie comme son amant, à la catatonie comme son partenaire, ou à se cacher comme le troisième membre de la bande qui ne se sent pas capable de se révéler au monde par ce braquage.

En conclusion, "Un après-midi de chien" détourne les codes des films de casse pour se transformer en film politique et social d'une grande sensibilité et avec une réelle force de divertissement. Jouant sur l'ordinaire et la langueur, Sidney Lumet nous brûle lentement au soleil d'un après-midi d'été suffocant. Une belle proposition que le duo Pacino/Cazale magnifie dans le braquage de la bien-pensance discriminante.

Lâcher vos armes et vos cagoules et regardez ce film, car après tout, rien ne vaut votre propre avis.

 
30 janvier 1976 / 2h 10min / Policier, Thriller
De : Sidney Lumet
Par : P.F. Kluge, Frank Pierson
Avec : Al Pacino, John Cazale, James Broderick
Titre original : Dog Day Afternoon