Adaptation de la nouvelle "Des Hommes Sans Femmes" de l'auteur japonais Haruki Murakami, "Drive my car" arrive dans nos salles de cinéma et se place dans les nouveaux films les plus en vue de cette semaine. Le long métrage pourrait aux premiers abords rebuter certains spectateurs à cause de sa longueur (2h59) ou de sa présence uniquement en version originale sous-titrée, mais également avoir un pouvoir attractif particulier pour ceux qui connaissent déjà le travail du réalisateur et scénariste Ryûsuke Hamaguchi. Alors doit-on embarquer dans la voiture de "Drive my car" ?
SYNOPSIS :
Yusuke Kafuku, acteur et metteur en scène travaille sur la représentation de la pièce "Oncle Vania" de Tchekov lorsqu'un drame vient bouleverser sa vie. 2 ans plus tard, alors qu'il met en scène la pièce à Hiroshima, on lui assigne une jeune femme, Misaki, pour le conduire chaque jour de son hôtel au travail. Ces longues heures de route vont les amener à se confronter à leurs passés respectifs.
Dès son prologue (qui dure plus de 45 min), "Drive my car" nous plonge dans la vie de ses personnages dans leurs aspects les plus intimes. Plusieurs éléments font partie de l'intime chez Hamaguchi et ici c'est principalement le processus créatif et son lien avec l'autre qui lui permet de nous offrir une place de témoin privilégié dans la vie des personnages. Ce qui transpire de cette œuvre, c'est un amour puissant et magnétique pour l'écriture, les mots et la manière dont ils peuvent modifier la vie d'un homme lorsqu'ils entrent en résonance avec un esprit troublé et en quête de sens.
Le scénario de "Drive my car" se déroulant tout au long de la préparation de la pièce "Oncle Vania", le film s’appuie sur les longs échanges de la pièce et fait la part belle au texte de Tchekov. Ce n'est d'ailleurs pas une coïncidence si les personnages de Vania et celui de Kafuku sont tant liés. Kafuku se questionne lui aussi sur l'amour et les illusions qui l'entourent en cherchant à trouver un dénouement satisfaisant à une période de sa vie qu'il n'arrive pas à conclure. Pour Misaki, la jeune femme chargée de le conduire, le dilemme est différent. Elle fuit son passé en refusant de choisir sa propre route. Réservée et passive, elle se contente de motiver sa vie par son travail qui lui permet de vivre les vies de ses passagers ainsi que celles des livres qu'elle dévore en les attendant.
Mais la grande force du film est sans aucun doute le travail de ses silences. Les relations entre les personnages se construisent autour de leurs échanges, des bribes de leurs passés qu'ils partagent au fil de leurs voyages, mais c'est également dans ce qu'ils ne se disent pas que leurs relations évoluent. Hamaguchi travaille la langueur des personnages qui traînent un passé qu'ils n'arrivent pas à dépasser et nous offre de grands moments de silences dans lesquels le spectateur est laissé à sa propre pensée, à sa contemplation. De même pour les passages de lecture de la pièce de Tchekov dans lesquels les mots résonnent dans un silence de cathédrale nous laissant nous imprégner d'une ambiance lourde et captivante.
Au-delà de son histoire, "Drive my car" est une expérience. Dès les premières minutes, son magnétisme s'enroule autour du spectateur et l'attire à lui dans une spirale insidieuse. Il est difficile d'expliquer ici ce que représente l'ambiance du film et l'état psychologique dans lequel elle plonge son spectateur en même temps que ses personnages. Il semble donc compliqué d'appréhender les trois heures de film si l'on n'entre pas dans la psychologie des personnages. Pour exemple, j'ai pu observer deux réactions lors de la séance à laquelle j'ai assisté. Quelques rangs devant moi, deux personnes regardaient assidûment "Drive my car". L'une d'entre elle s'est levée au bout de 2h de film pour quitter la salle précipitamment tandis que la deuxième observait avec attention l'écran, les deux mains autour du visage et n'a lâché l'écran qu'au moment du générique pour essuyer quelques larmes. Je ne sais pas si cela est représentatif de quoique ce soit mais depuis mon siège, cela semblait illustrer parfaitement le magnétisme du film, et son coté excluant pour quiconque n'arriverait pas à y trouver un écho.
En conclusion, il est difficile de parler de "Drive my car" en préservant les éléments du scénario autant qu'il est ardu de transcrire la sensation que l'on ressent en observant l'évolution de ses personnages. Une chose demeure certaine, il ne laisse pas indifférent. J'ignore si l'expérience qui nous est proposée est compatible avec un visionnage en dehors d'une salle obscure mais elle est de celles qui nous imposent le silence et l'introspection pendant les quelques minutes qui suivent la séance.
Je vous invite à voir ce film et à vous faire un avis, car après tout, rien ne vaut votre propre avis.