UN APRES-MIDI DE CHIEN : VIVRE SANS TENDRESSE

  Quatre ans après leur première collaboration sur "Le Parrain" de Francis Ford Coppola, Al Pacino et John Cazale se donne à nouveau la réplique sous la direction de Sidney Lumet dans "Un après-midi de chien". Inspiré d'un fait divers relatant un braquage de banque ordinaire virant au tapage médiatique, le film rafle cette année-là toutes les récompenses des Oscars et des Golden Globes. Le réalisateur, adepte du cinéma qui hante les rues encrassées par la réalité et la misère sociale, s’amourache de la portée sociétale du casse et le transforme en porte-étendard d'un mal-être américain.   Synopsis :  Sonny et Sal entrent dans une banque par une chaude après-midi de l'été 1972 avec l'intention de faire un casse aussi rapide que lucratif. Entre désertion, improvisations et curiosités malvenues, le braquage vire à la prise d'otage ne laissant d'autres choix que la négociation ou la mort.    Les faits divers, et notamment ceux mettant en scène de

ELEPHANT - UNE HISTOIRE DE VIOLENCE


Palme d'or du festival de Cannes 2003, "Elephant" de Gus Van Sant est le fruit de la rencontre de son réalisateur avec l'actrice/productrice Diane Keaton qui lui propose de tourner un film adaptant la tuerie de masse de Columbine. Le cinéaste accepte la proposition et son long-métrage rejoindra sa "tétralogie de la mort" aux côtés de "Gerry", "Last Days" et "Paranoid Park". Violence et vie quotidienne se mélangent dans un bal étudiant où la mort réclame la dernière danse. 

SYNOPSIS :

Par une journée ordinaire dans un lycée américain de Portland, les élèves vaquent à leurs activités quotidiennes : photographie, potins, drague, et études. Au milieu de cette journée ordinaire, deux jeunes adolescents décident de commettre l'irréparable : Une tuerie par arme à feu. 

Lorsqu'il accepte cette commande, Gus Van Sant décide de lui donner le nom Elephant en référence au court-métrage éponyme de 1989 du réalisateur Alan Clarke traitant de meurtres en Irlande du Nord. Mais au-delà de cette homonymie cinématographique, il explique également ce choix par le fait de vouloir représenter l'éléphant que les États-Unis refusent de voir devant leurs yeux : "l'aspect aliénant du système éducatif américain". Par ce choix, il oriente un film retraçant un fait divers dramatique vers un pamphlet politique sur l'aveuglement d'un système qui ignore les personnes différentes. C'est ici l'une des représentations fétiches de Gus Van Sant que l'on va retrouver dans le film : La différence entre les robots et les freaks. 

Si cette distinction tend plutôt à s'inscrire sur ses personnages féminins, l'on remarque ici qu'il applique également ce modèle sur les deux tueurs. Là où le trio des robots au physique avantageux répondent instinctivement aux mêmes stimulus et à l'absence totale de réflexion (repas similaires, sortie de table synchronisée, vomissements coordonnées, démarches cadencées), ceux qu'il appelle les freaks (monstres) et qui laissent transparaître une singularité sont en constante interrogation du monde qui les entoure (le club homo/hétéro et le questionnement de l'apparence, la bibliothécaire et son refus de la norme, le tueur et sa place dans le lycée). Une différence que le système éducatif ne cherche pas à accepter et à comprendre, mais à ignorer pour s'assurer une tranquillité d'esprit. 

Et la compréhension est véritablement le cœur du film. Dans son premier acte, une scène nous dépeint la réunion du club homo/hétéro. Ce club s'interroge sur la visibilité de l'homosexualité dans la sphère publique par l'apparence des personnes. La caméra opère un panoramique circulaire se concentrant sur chaque membre du cercle, nous invitant nous aussi à réfléchir sur la question : est-on capable de discerner la sexualité des interlocuteurs par leurs visages ? Non. Il emploiera à nouveau cette technique dans le deuxième acte lorsqu'il filme la chambre dans laquelle les deux futurs assassins passent une après-midi assez classique. Le panoramique sur l'un des jeunes jouant la "Sonate au clair de lune" de Beethoven au piano et sur le deuxième jouant aux jeux vidéo nous invite à nous interroger sur ce qui fait d'un adolescent un tueur. Serions-nous capables de repérer la dérive d'un adolescent par ses goûts musicaux ou ses passions ? Non. Par ce mécanisme et la démonstration du harcèlement subit par l'un des jeunes hommes, ainsi qu'une homosexualité supposée, Gus Van Sant ne cherche pas à excuser les actes de Columbine, mais à les expliquer. Des explications que la violence de leurs actes rendent sourdes aux oreilles de l'opinion publique, mais qui sont nécessaires à la compréhension et à la prévention de tels drames. 

Et la caméra ne se contentera pas d'observer les scènes de vie et de mort des lycéens, elle est la véritable narratrice du long-métrage puisque c'est par son œil que nous suivons, au gré de plans-séquences et travellings légers magnifiquement maîtrisés, l'histoire de cette journée dramatique. La première chose que l'on peut affirmer, c'est que notre narratrice n'est pas des plus fiables. Racontant les événements par le biais de boucles temporelles entremêlées dont les nœuds sont les lycéens se croisant dans les couloirs labyrinthiques du bâtiment, la caméra nous trompe sur la temporalité des scènes afin de rendre plus anecdotiques les différents moments de la journée des adolescents et nous faire oublier que sous le ciel ensoleillé gronde une tempête. Le spectateur se trouve alors prisonnier dans le dos des personnages, les suivant à l'instar d'un destin funeste perché sur leurs épaules.
Comme nous le disions précédemment, le film se découpe en trois actes représentés à la fois par un aspect visuel et auditif. Alors que le titre s'ouvre sur un ciel dégagé et reposant, celui-ci s'emplit de nuages et des bruits lointains du tonnerre marquant ainsi le passage à l'acte suivant. Il s'achèvera par un ciel où semblent se mélanger nuages gris et fumées. Ces trois visuels représentent tour à tour, l'innocence et la candeur des lycéens, les prémices de la violence qui se déchaînera bientôt sur l'établissement, et le calme après la tempête où ne restent que les ruines d'une jeunesse détruite. D'un point de vue auditif, c'est le son du déclenchement de l'appareil photo de l'un des personnages qui marque le point d'orgue des boucles temporelles avant de s'achever dans un ultime bruitage se plaçant entre le son de la culasse du fusil et le premier coup de feu. Ces marques mêlées à l'ambiance musicale classique de Beethoven rythment avec brio un labyrinthe dont on entrevoit enfin la sortie, mais dont on sait qu'elle n'est guère réjouissante. 
 
En conclusion, "Elephant" démontre une grande maîtrise de son sujet sans être pour autant une adaptation fidèle du fait divers dont il est tiré. D'une commande reposant sur l'émotion suscitée par le drame, Gus Van Sant en tire une leçon sur l'Amérique et son incapacité à protéger les gens différents dans le système éducatif. Alors que le pays entre, cette année encore, dans un nouveau record de meurtres de masse, il est intéressant de se rappeler des enseignements de ce film et d'en tirer quelques leçons pour l'avenir. 

Regardez ce film et, même si rien ne vaut votre propre avis, respectez-vous. 

22 octobre 2003 / 1h21 min / Drame
De Gus Van Sant
Par Gus Van Sant
Avec Alex Frost, John Robinson (IV), Elias McConnell