Premier long-métrage de Sam Raimi diffusé en 1981, "Evil Dead" est un véritable film de débrouille. Avec un budget de 90 000 dollars, l'équipe se lance dans un tournage chaotique dans lequel l'ingéniosité rivalise avec la folie. Brûlant une partie du décor pour se chauffer et se pliant au matraquage détonnant du cinéaste, le casting allait tourner un slasher atypique aux allures de séries B.
Alors cette promenade dans les bois, coup de génie ou délire d'auteur ?
SYNOPSIS :
Un groupe d'ami se rend dans une cabane au milieu des bois pour y passer de petites vacances. Entre voies d'accès impossibles et ambiances effrayantes, la petite équipe se met à craindre le pire. La découverte d'un manuscrit caché dans la cave leur donnera raison.
Trève de suspense, la notoriété du film (et de son réalisateur) l'ayant depuis longtemps fait passer au rang de classique bénéficiant de deux suites, d'une série télévisée, d'un remake et d'adaptations livresques, "Evil Dead" est un vrai succès. Pourtant, ce n'était pas de prime abord, un projet novateur. Héritière d'un cinéma d'horreur crasseux, porté sur le sexe et l'insouciance adolescente, cette proposition baignait dans un air fétide mêlé à un certains goût de déjà-vu. Il était de même pour son scénario qui, s'il ne brille pas par son originalité, s'évertue à cocher toutes les cases du slasher bête et idiot. Le groupe d'adolescent qui va seul dans les bois loin de toute civilisation pour devenir la cible du mal qui y rôde, on a connu plus inspiré.
Côté menace, les choses se précisent. Si les slashers tendent à personnifier leurs tueurs (Michael Myers, Jason Voorhes, Leatherface...), ce n'est pas le cas de "Evil Dead" qui décide de s'emparer d'un autre aspect : l'entité démoniaque omniprésente. Ici pas de tueur retors, mais une force toute aussi implacable. Des corps des victimes aux branches d'arbres, tout devient le monstre et la menace est partout. Face à cela, un héros charismatique doit se dégager, et sans surprise c'est l'ami d'enfance de Sam Raimi, Bruce Campbell (Ash) qui occupe ce rôle avec brio. Jouant d'un visage expressif et d'un regard captivant, l'acteur s'impose et devient une icône dépassant même la menace qu'il affronte qui se trouve reléguée au second plan. Un rapport de force inhabituel pour ce genre de registre.
Cependant, ce n'est pas tant l'acting du long-métrage qui le fera sortir du rang que l'ingéniosité et la réalisation de Sam Raimi. Obligé de jouer avec peu de moyens et des codes surannés, le cinéaste invente des moyens de tournage à hauteur de son budget. La représentation du mal comme une force rampante sans cesse approchant du chalet abritant les victimes prend une place toute particulière sous la caméra subjective du réalisateur. Pour ce faire, il fixera la caméra à une planche de bois nécessitant deux personnes pour la manipuler en courant au milieu de la forêt. En ressortira cette image très particulière personnifiant la menace de son film. Il fixera également sa caméra à un vélo pour la fameuse scène finale afin de créer un travelling chaotique et rapide rendant crédible cette mort invisible planant sur les bois.
Mais "Evil Dead" c'est également des angles de caméras improbables et une réserve d'hémoglobine impressionnante. Le cinéaste nous place tantôt dans la peau d'un témoin du groupe, plaçant sa caméra à hauteur d'homme, tantôt dans la peau du mal grouillant et de sa cabane dans les bois. Là encore, dépourvu de steadicam permettant une image portée stable, le réalisateur va créer sa shakycam qui donnera des images portées ballottées par le mouvement du corps. Cette alternance de plans humains et éthérés contribuera à renforcer le sentiment du mal omniprésent et de la folie qui s'empare d'Ash. On notera en particulier une scène où la caméra effectue un 180° au dessus d'Ash faisant basculer l'image de son dos à son visage, marquant aussi bien cette observation constante de l'horreur que la patte d'un cinéaste qui aime confondre nos attentes.
Autre élément marquant de cette œuvre, le plaisir sadique de martyriser les corps et les esprits des pauvres victimes des démons. Suintant et craquelant, le visage des adolescents se transforme et Sam Raimi ne manque pas d'idée quant à la manière de les détruire. Tout y passe. Démembrements, découpages, coups de fusil, brûlures, pourritures et mutations sont de la partie, transformant le film en atelier de petit chimiste pour psychopathe débutant. On adore.
De même la maison subira les affres de la possession et le sang coulera. Des prises suintantes aux ampoules dégoulinantes, tout est fait pour créer ce sentiment grandissant de malaise et d’oppression dénotant une maîtrise des effets pratiques plus qu’appréciable.
En conclusion, "Evil Dead" est un long-métrage qui, s'il tire son héritage d'un aspect peu enviable du cinéma d'horreur des années 70, parvient à dépasser son sujet et son manque d'originalité scénaristique pour nous proposer une vraie maîtrise de la débrouille et une vision technique en maturation, mais rafraîchissante. Avec lui naît un véritable univers qui, comme l'enfer, est toujours pavé de bonnes intentions, mais aussi de choix malheureux. Mais nous en reparlerons.
En attendant, promenez-vous dans les bois, car rien ne vaut votre propre avis.
24 août 1983 / 1h 20min / Epouvante-horreur, Thriller
De : Sam Raimi
Par : Sam Raimi
Avec : Bruce Campbell, Ellen Sandweiss, Hal Delrich
Titre original : The Evil Dead