Présenté à Cannes en 2005, "Last Days" de Gus Van Sant s'inspire des derniers jours de Kurt Cobain et fait partie de la trilogie de la mort (plus un) de son réalisateur. Trouvant son origine dans une obsession du cinéaste pour la mort du chanteur et plus particulièrement pour ses derniers jours dans une maison démesurée (et semblable à la sienne), l'œuvre tient plus du conte onirique que de la nécrologie factuelle.
SYNOPSIS :
Blake, un artiste à succès abîmé par la drogue et un talent qui le dépasse se cache dans une demeure perdue en forêt après s'être enfui d'une cure de désintoxication. Entouré de son microcosme musical, il va y vivre les derniers jours de sa vie.
La mort de Kurt Cobain a été un retentissement pour l'ensemble d'une génération. Écrire sur son décès et filmer ses derniers instants est un sujet glissant pouvant attiser le feu d'une communauté de fan qui garde jalousement le souvenir de son idole. Gus Van Sant décide de confier le rôle à Michael Pitt (Innocents : The dreamers / Boardwalk Empire) qui, s'il joue sur une ressemblance physique recherchée, offre une prestation effacée de la rockstar s'éloignant de la personnification pour s'approcher d'une généralité éthérée. De même, l'entourage de Blake se veut représentatif d'un monde qui gravite autour des artistes sans pour autant chercher à représenter des personnes existantes. Une volonté qui permet d'éviter l'inventaire réaliste de faits réels, mais qui conduit inlassablement à rendre le sort de Blake moins impactant pour le spectateur faute de création d'un lien empathique avec le personnage.
Dès le début de l'œuvre, une séquence sans paroles de 15 minutes au cours de laquelle Blake déambule dans les bois, marmonnant et titubant entre les arbres, nous donne la vraie figure de proue du récit : la solitude. Le chanteur recherche en forêt une échappatoire à la vie tumultueuse qu'il mène et le bruit constant de la civilisation en arrière-fond rappelle l'impossibilité pour lui de sortir de sa propre condition. À ce titre, Gus Van Sant privilégie les plans fixes restreignant les possibilités de mouvement de son personnage. Restriction dont Blake s'affranchit en sortant systématiquement du cadre pendant de longues secondes avant d'y revenir brusquement, symbole de son incapacité à rester dans un carcan que l'on a décidé pour lui. Sans cesse décentré, filmé de dos, ou placé en arrière-plan des cadres, l'artiste fuit la caméra de même que les demandes incessantes qui l'assaillent : solitude choisie autant que subie.
Plus qu'au mal-être de Blake, le film s'intéresse à l'absence de réaction de son entourage face à une mort annoncée. Lorsque l'artiste est retrouvé inconscient au petit matin, le seul réflexe est de vérifier qu'il vit encore et de le replacer contre un mur avant de reprendre une journée normale. De même lorsque, la veille de son décès, il est aperçu seul au milieu de la nuit dans une cabane de jardin. Toutefois, cette indifférence décrite ici est très relative. Si le petit monde gravitant autour de la star est aveugle à ses souffrances et ses errances balbutiantes, chacun démontre à son encontre un intérêt particulier qui motive leurs présences à ses côtés. Des conversations que le cinéaste, comme à son habitude, nous montre plusieurs fois et sous plusieurs angles afin de rendre à chaque personnage son point de vue de la scène. Une technique nécessaire ici puisqu'elle permet de montrer le mal-être de Blake lors de ces demandes qui traînent en longueur tandis que la vision de l'entourage est traitée plus rapidement et montre l'ignorance de leur effet sur l'esprit torturé du chanteur.
Lors d'une scène de démarchage publicitaire qui cueille le protagoniste dans une robe de femme - pratique rapportée par les témoignages des proches de Kurt Cobain - Blake est assis sous un tableau de chasse à courre sur lequel on peut voir un cerf assaillis par une troupe de chiens aux abois. Une représentation que l'on ne peut s'empêcher d'imaginer comme la métaphore de l'artiste déambulant en forêt, devant échapper à ses producteurs, ses artistes et compagnons de défonce, et même un détective privée qui le suit à la trace. Difficile également, quelques scènes plus tard, lorsque le cerf devient une tête empaillée sur le mur, de ne pas y voir le trophée que la star deviendra après sa mort auprès de ceux pouvant y trouver quelques soupçons de notoriétés.
Loin de vouloir s'attarder dans un récit descriptif des derniers moments d'une icône, "Last Days" est une représentation de la solitude et de la dépression qui peine à nous attacher à son personnage effacé par son mal-être. Toutefois, cette distance nous permet de prendre de la hauteur par rapport au sujet du film et d'aborder ce fourmillement individualiste dans une demeure trop grande pour un esprit prostré comme causes d'une mort prochaine qui ne se cachait pas. Cependant, le cinéaste s'émancipe d'une vision accusatrice pour décrire une situation de fait, apanage d'un milieu qui offre autant qu'il ignore au risque d'écraser les esprits fragilisés. L'amour du réalisateur pour l'artiste transparaît finalement dans la dernière scène de son personnage qu'il choisit de représenter comme une libération plutôt qu'un drame.
Brisez la solitude et regardez ce film, car après tout, rien ne vaut votre propre avis.
13 mai 2005 / 1h37 min / Drame
De Gus Van Sant
Par Gus Van Sant
Avec Michael Pitt, Lukas Haas, Asia Argento