Mini-série développée par HBO, "We Own This City" est une adaptation du livre éponyme du journaliste Justin Fenton relatant la corruption qui gangrène la police de Baltimore. Il n'est pas étonnant de voir ce projet tomber sous la plume de David Simon à qui l'on doit déjà l'excellente série "The Wire", et George Pelecanos auteur et scénariste spécialisé dans les intrigues policières. À la réalisation, la chaîne s'offre les services de Reinaldo Marcus Green à qui l'on doit notamment "King Richard" qui a eu une présence remarquée lors de la cérémonie des Oscars. Une adaptation qui ne peut donc que susciter la curiosité des aficionados de David Simon.
Alors que vaut réellement ce nouvel opus sur la police de Baltimore ?
SYNOPSIS :
Face à la montée des crimes liés au trafic de drogue, la ville de Baltimore décide de créer en 2015 une équipe spéciale en charge de rétablir l'ordre dans la ville : la Gun Trace Task Force. Très vite et sous l'impulsion du chef de l'unité Wayne Jenkins, l'équipe cède à la corruption, au vol, et au racket. Huit policiers seront condamnés entre 2018 et 2019.
Composée de 6 épisodes, "We Own This City" s'attache à suivre plusieurs acteurs de la création et de la chute de la Gun Trace Task Force. Le premier de ces personnages est inévitablement Wayne Jenkins, le "héros" de l'unité spéciale et aussi son membre le plus corrompu. Il est interprété par un Jon Bernthal en grande forme qui personnifie impeccablement ce policier extrême aux théories racistes et aveuglé par un sens du devoir qu'il dévoie pour son propre intérêt. La série contrebalance son histoire avec trois autres récits croisés : celui des agents du FBI qui finiront par mettre fin aux agissements de l'équipe, celui d'une avocate du département de la justice qui enquête sur le racisme et la corruption au sein de la police, et celui d'un jeune policier ayant quitté le service pour rejoindre la brigade criminelle. Une vue d'ensemble de la police de Baltimore et d'un système défaillant, qui se garde de verser dans un manichéisme attendu pour au contraire chercher à comprendre les tenants et aboutissants de la corruption. Ainsi, la série suivra Wayne Jenkins à différentes périodes de sa vie professionnelle, de son incorporation à sa chute en passant par sa descente dans la criminalité. Loin de vouloir excuser l'inexcusable, les épisodes égrainent les raisons personnelles et la volonté d'un système de faire exister ce genre d'équipe et d'encenser (ou au minimum couvrir) les comportements problématiques. Un traitement tout en parcimonie et sans concessions qui fait du bien sur ce sujet particulièrement complexe.
Au-delà d'une simple constatation des faits, la série prend le parti de créer une immense toile représentant la ville de Baltimore et les tourments qui la parcourent. La même année que la création de la task force, Freddie Gray, un jeune homme noir, trouvait la mort suite à son arrestation par la police de Baltimore. Un mois après sa mort, le procureur annonce des poursuites à l'encontre des officiers de police et qualifie leur intervention d'homicide. Cette mort tragique et évitable conduira à des émeutes et à une remise en cause des pratiques de la police et notamment de leur politique de tolérance zéro dont la logique était :"Eux contre nous". La série prend acte de ces événements et s'attache à montrer leurs répercussions sur l'ensemble de la ville, y compris au sein des services de police. Là où la plupart des agents le prenne comme une nécessité d'être plus prudents et de calmer le jeu, et exprime même de la crainte d'être stigmatisé, Jenkins et son équipe le ressente comme une agression qui doit être réparée par une plus grande sévérité. Un symptôme d'un système malade, incapable de tirer les leçons de son passé et de chercher à résoudre ses problèmes et que la série traite avec une grande intelligence, notamment au travers des scènes de Wunmi Mosaku qui interprète l'avocate chargée de regarder le système dans les yeux et d'en tirer les conclusions qui s'imposent.
Toutefois, la série n'évite pas un écueil qui est inhérent à ses ambitions : un storytelling brouillon. L'un des choix opérés par Reinaldo Marcus Green est de ne pas suivre un récit linéaire des événements, mais de s'attarder sur chaque témoignage des officiers arrêtés et donc d'effectuer des sauts entre les différentes époques et les différents événements qui parsèment la vie de Baltimore. Ce choix contribue à rendre la ligne temporelle de la série un peu trop floue ce qui brouille quelque peu la vision que l'on peut avoir de l'évolution de la task force et de ses membres. Cela n'empêche pas de suivre les différents faits inspirés des exactions de Jenkins et ses hommes et de nous faire comprendre le message principal : tout le monde savait (ou se doutait), mais la hiérarchie voulait l'ignorer.
En définitive, c'est l'ambiance de la série et son excellent casting qui nous emportent et nous permettent de nous immerger dans ce système qui sonne malheureusement beaucoup plus familièrement que l'on ne le désirerait. Avec son format de six épisodes, la série évite d'étirer en longueur l'inventaire des crimes des policiers et se contente de cerner les faits marquants permettant de comprendre leurs psychologies et motivations. À noter notamment son ingénieux générique affichant des images de Baltimore, des images des émeutes ainsi que des extraits de conférences de presse des officiels de la police suite au démantèlement de la task force. Cette mise en opposition aux cris de la foule entonnant, "No Justice, No Peace" (Pas de justice, pas de paix) nous rappelle une fois encore les divisions qui parcourent le pays, et ce, notamment à cause d'un ostracisme de classe et un racisme poisseux qui imprègne les rouages de la société.
En conclusion, "We Own This City" est une mini-série policière qui, bien que cochant scrupuleusement toutes les cases du drame policier, s'affranchit de son récit et de ses faits pour en tirer une photographie panoramique de la ville et de son époque. Portée par un casting de talent, elle n'a rien à envier à ses aînées telles que "The Wire" ou "The Deuce" se portant respectivement sur la lutte contre le trafic de drogue et la naissance de la pornographie. On regrettera malgré tout un choix de storytelling brouillon d'autant plus qu'il n'apporte rien à la série que ce soit en terme de rythme ou d'intérêt narratif. Malgré tout, cette série brillera réellement par sa justesse de ton et une absence de concessions qui sont fortement appréciables.
On vous invite donc à prendre possession de cette série, car après tout, rien ne vaut votre propre avis.
Basé sur : We Own This City de Justin Fenton
Créé par : George Pelecano / David Simon
Réalisé par : Reinaldo Marcus Green
Avec : Jon Bernthal / Wunmi Mosaku / Jamie Hector
Nombre d’épisodes : 6